Hypnose & Médias Août 2016



Les secrets de l'hypnose se dévoilent - Le Figaro

L'imagerie cérébrale permet de voir le cerveau en action et notamment de comprendre les modifications de son comportement lorsqu'une personne est sous hypnose. 

C'est d'abord en captant leur attention que le personnage de Merritt, l'hypnotiseur du film Insaisissable 2 actuellement sur les écrans, piège ses victimes. Un procédé que ne contestera sans doute pas le Pr David Spiegel, directeur du «Centre de santé et stress» de l'université de Stanford, en Californie. Il vient de scruter à l'aide d'IRM fonctionnelles (IRMf), une technique d'imagerie qui permet de voir le cerveau en action, les modifications de l'activité cérébrale de 57 étudiants soumis à un protocole d'hypnose. Les résultats sont étonnants. Ils viennent d'être publiés en ligne dans la revue Cerebral Cortex.

«On observe une réduction de l'activation des régions cérébrales (cortex cingulaire dorsal antérieur) qui évaluent le contexte, nous aident à décider parmi la multitude de choses qui nous entourent lesquelles il faut ignorer et celles qui méritent notre attention», explique au Figaro le Pr Spiegel. «Sous hypnose, on réduit son attention comme sous l'effet d'un téléobjectif. Ce que l'on voit est beaucoup plus détaillé mais on voit moins ce qu'il y a autour.»

Mais tout le monde n'est pas aussi sensible à l'hypnose. Pour sélectionner 43 sujets «hautement hypnotisables», l'équipe du Pr Spiegel a d'abord soumis 545 étudiants à différents tests de suggestibilité. L'objectif était ensuite de comparer leurs IRM avec celles de 24 étudiants «peu hypnotisables». «Dans la population générale, il y a plus de personnes réfractaires à l'hypnose (environ une sur trois) que de personnes très sensibles, environ 15 %», souligne David Spiegel.


Manque de conscience de soi 

«La suggestibilité hypnotique est liée à la réduction de l'activité du cortex préfrontal dorsolatéral», confirme le Pr Antonio Casale qui mène des travaux similaires sur l'hypno-analgésie (traitement de la douleur par hypnose), avec le groupe Nesmos (Neurosciences, santé mentale et organes des sens) dirigée par le Pr Paolo Girardi à l'université Sapienza de Rome.

«L'entrée en état d'hypnose est associée à un deuxième mécanisme, ajoute le Pr David Spiegel: une augmentation des connexions entre la partie du cerveau impliquée dans le contrôle exécutif (le cortex préfrontal dorsolatéral ou DLPFC) et la partie qui règle les fonctions corporelles (insula). L'hypnose aide ainsi les gens à contrôler leurs réactions physiques en réponse à des pensées et des facteurs de stress.»

 Enfin, troisième modification de l'activité cérébrale mise en évidence par l'équipe américaine, «l'inversion de la connexion fonctionnelle entre la région de contrôle exécutif et une région profonde du cerveau qui gère les pensées intérieures et la rumination mentale (cortex cingulaire postérieur). Ce qui explique que les individus hypnotisés manquent de conscience de soi et font juste ce qu'ils doivent faire sans se préoccuper des implications de ce qu'ils font ou de ce qu'en pensent les autres», détaille encore David Spiegel.

«Ce travail montre des modifications neurologiques fonctionnelles pendant l'hypnose allant jusqu'au système limbique (réaction émotionnelle, NDLR), remarque le Pr Casale, ce qui est cohérent avec plusieurs caractéristiques de l'état hypnotique: altération induite de l'attention, augmentation du contrôle des émotions et des sensations, manque de conscience de soi.» Pour le chercheur italien, «de nombreux travaux restent à faire dans le domaine des fondements neurologiques de l'hypnose pour clarifier cet état de conscience modifié et ouvrir la voie pour de nouveaux diagnostics et traitements de nombreux troubles mentaux et maladies organiques».
Damien Mascret


L'hypnose, le thérapeute et la science - Sciences Humaines

Pendant deux siècles, l'hypnose a été pratiquée en se heurtant continuellement au scepticisme des cercles scientifiques. Aujourd'hui, le cerveau se laisse ausculter en temps réel et l'hypnose devient un objet d'étude légitime en même temps qu'une pratique thérapeuthique. 

À la fin du XVIIIe siècle, le médecin Franz Mesmer mobilisait sur ses patients ce qu'il appelait « un fluide animal », qu'il considérait comme une simple force naturelle, pas plus étrange que la gravitation d'Isaac Newton. L'establishment scientifique réagit avec suspicion face à cette nouvelle et étrange médecine, où il était question d'aimants, de « fluide magnétique », de guérisons spectaculaires. Une commission d'enquête nommée par le roi en 1784 rendit un verdict tranché : il ne s'agissait rien d'autre que d'une « médecine d'imagination ». En 1824, le chirurgien Jules Cloquet procéda à l'ablation du sein sur une femme atteinte d'un cancer, sans autre anesthésie qu'un « sommeil magnétique ». Là aussi, on accusa la patiente d'avoir « déguisé » les douleurs qu'elle éprouvait. L'histoire de l'hypnose est une longue suite de controverses, où les différentes manifestations du phénomène sont attribuées soit à des délires soit à des simulations.

A la fin du XIXe siècle, Jean Martin Charcot, neurologue à la Salpêtrière, étudie l'hypnose sur ses patientes hystériques et y voit l'une des manifestations de l'hystérie, donc un phénomène pathologique, tandis que les médecins Hippolyte Bernheim et Ambroise Liébault la considèrent comme le simple effet d'un protocole de suggestion réalisable sur n'importe qui. Ainsi, même parmi ceux qui prennent l'hypnose au sérieux, les interprétations varient du tout au tout et se focalisent entre deux pôles opposés : l'hypnose serait un état particulier du cerveau, autre que le sommeil ou la veille ; ou bien l'hypnose serait un simple mode de fonctionnement du cerveau dans son état de veille normal.

Autour de ces deux polémiques, imaginaire/réel et état/fonction, les débats et les études se sont succédé tout au long du XXe siècle sans fournir de piste sérieuse quant à l'existence d'un substrat neurophysiologique à la base de l'hypnose. Les tracés électroencéphalographiques ne permirent pas d'isoler des caractéristiques spécifiques. L'hypnose n'était décidément pas un sujet scientifique.

Un objet flou par nature

Sur le plan thérapeutique, l'hypnose n'avait pas la cote non plus, puisqu'elle avait été bannie par Sigmund Freud qui la jugeait trop dangereuse et difficile à contrôler. En France, Léon Chertok fut l'un des rares psychanalystes à oser la pratiquer et l'étudier dans son Laboratoire d'hypnose expérimentale, créé en 1971. Ses écrits récemment republiés relatent l'aventure intellectuelle d'un psychiatre qui aborde avec raison et pragmatisme un phénomène apparemment rebelle à toute mise au pas. « L'hypnose ne produit pas un état stable, mais un état qui fluctue continuellement, qui varie d'un sujet à l'autre et, pour un même sujet, d'une expérience à l'autre », écrit-il. De plus, les comportements observés sont fortement influencés par les représentations que les protagonistes se font du phénomène. La théorie et les attentes du thérapeute, en particulier, vont conditionner les réactions du patient. C'est ainsi que F. Mesmer observait des crises de convulsions, tandis que son élève, le marquis de Puységur, induisait des états somnambuliques très calmes. J.-M. Charcot produisait des crises d'hystérie, H. Bernheim étudiait une hypnose « de laboratoire » standardisée, et Milton Erickson, hypnothérapeute réputé pour faire confiance aux ressources de l'inconscient, obtenait des comportements fortement diversifiés. De même, la mise en hypnose peut présenter des variations extrêmes, dans le fond comme dans la forme : induction par la parole, souple ou autoritaire, prolixe ou discrète, induction par la focalisation du regard ou par la focalisation de l'ouïe, induction rapide (quelques secondes peuvent suffire) ou parfois interminable. Rien ne ressemble moins à une séance d'hypnose qu'une autre séance d'hypnose, et l'induction n'est même pas toujours nécessaire. Un sujet entraîné peut se plonger en autohypnose, volontairement. Mieux encore, tout un chacun, dans la vie quotidienne, passe par des phases de transe, plus ou moins profonde, sans s'en rendre compte.

Mais si les manifestations et les entrées en hypnose sont tellement diverses, en quoi peut-on parler d'un même phénomène ? En se rapportant à l'expérience subjective de la personne hypnotisée. Celle-ci réduit ses interactions avec l'environnement immédiat, parfois jusqu'à « perdre le contact » avec le monde extérieur, et s'immerge dans son monde intérieur. Elle devient particulièrement réceptive aux suggestions de l'inducteur d'hypnose, qui peuvent moduler sa perception de la douleur, ses perceptions sensorielles, sa mémoire, sa volonté ou sa perception du temps.

L'hypnose entre à l'hôpital

L. Chertok, tout en pratiquant l'hypnose thérapeutique, tenta, comme beaucoup d'autres praticiens de l'hypnose, de quantifier certains de ses effets, notamment en ce qui concerne la perception de la douleur. Mais de telles études se heurtaient toujours à la nature subjective des résultats. Pour une stimulation douloureuse donnée, les sujets rapportaient des niveaux de douleur moindres lorsqu'ils étaient sous hypnose que lorsqu'ils ne l'étaient pas, mais cette appréciation restait... une appréciation. Sans mesure objective, pas de science digne de ce nom.

Les résultats pratiques, cependant, étaient probants et une petite frange du corps médical utilisait l'hypnose comme technique analgésique, sans le revendiquer trop fort, puisque la caution scientifique manquait cruellement. Au CHU de Liège, l'anesthésiste Marie-Elisabeth Faymonville commence à utiliser l'hypnose en 1993. « J'étais alors responsable des grands brûlés et du département de chirurgie plastique, où l'on travaille beaucoup sous anesthésie locale avec sédatifs. Mais les médicaments ont leurs limites : à fortes doses, le patient devient inconscient et réagit par des comportements douloureux et agités. » Le chirurgien du service accepta de tenter l'expérience. Il ne s'agissait pas d'opérer sous hypnose seule, mais de combiner l'anesthésie locale, l'hypnose et des sédatifs en fonction des besoins. « J'ai appris les bases de la technique dans les livres et j'ai été la première surprise par les résultats. Non seulement les doses de médicaments diminuaient, mais les patients se sentaient très bien et parlaient même d'une expérience formidable. Je suis alors allée me former à l'Institut Milton-Erickson. Aujourd'hui, nous avons une expérience d'hypnosédation effectuée sur plus de cinq mille patients. »

En avril 2000, le journal The Lancet publie les résultats d'une étude menée à Boston par l'anesthésiste Elvira Lang sur 241 patients volontaires. Elle y décrit les effets positifs de l'hypnose sur le niveau de la douleur, le niveau d'anxiété, la consommation de médicaments, la fréquence des complications, la durée des interventions, ainsi que le bilan financier.

L'hypnose est aussi largement utilisée dans le traitement de la douleur chronique. De nombreux centres de traitement de la douleur, au moins un dans chaque grande ville en France, travaillent avec des hypnothérapeutes. A l'hôpital Ambroise-Paré, des milliers de patients ont été traités par l'hypnose depuis près de quinze ans. Le traitement est vu comme un complément à l'approche pharmacologique classique. Le docteur Didier Bouhassira, directeur du centre, souligne : « Il ne s'agit pas de guérisons miraculeuses ? gare aux faux espoirs ? mais de réduction de l'inconfort et des doses médicamenteuses. C'est un outil dans l'arsenal antidouleur, qui nous rend de grands services au quotidien, pourvu qu'on l'utilise à bon escient et au bon moment. »

Côté recherche, une étude de Marie-Claire Gay, Pierre Philippot et Olivier Luminet compare trois groupes souffrant de douleurs chroniques et soumis soit à un traitement par l'hypnose, soit à la relaxation, soit à la condition standard (recours aux médicaments classiques). L'hypnose réduit la douleur ressentie par les patients de plus de 50 % en quatre semaines. La relaxation produit un effet moindre (30 %) et il lui faut huit semaines pour l'obtenir. Les deux thérapies permettent de réduire les doses de médicaments par rapport au groupe témoin. Ces résultats suggèrent que l'hypnose ne peut être ramenée à un effet placebo, ni à une simple relaxation.

Puis vint l'imagerie cérébrale

Vers la fin des années 1980 est apparue la tomographie par émission de positrons (TEP), une technique d'imagerie qui permet d'observer le cerveau en activité par le biais des variations locales du débit sanguin. On pouvait donner une tâche précise au sujet (effectuer un calcul, chanter une chanson) et voir quelles zones du cerveau s'activaient. On pouvait aussi comparer le fonctionnement du cerveau normal à celui du cerveau sous hypnose. En 1995, l'équipe du CHU de Liège lance une étude sur la perception de la douleur et obtient des résultats intéressants : la réponse au même stimulus douloureux n'est pas la même lorsque le cerveau est sous hypnose ou non. Et cette fois, les évaluations commencent à prendre une allure objective, car ce n'est plus le sujet qui parle, mais son cerveau, directement. Une équipe de Montréal menée par Pierre Rainville montre que l'hypnose peut agir sur deux aspects distincts de la douleur : la sensation ou l'émotion. Ces deux composantes coexistent dans tout stimulus douloureux : un caillou dans la chaussure fait mal mais n'inquiète guère, tandis qu'une douleur au ventre ou dans la poitrine, même modérée, peut être très anxiogène. Sous hypnose, tout en maintenant une stimulation constante (au moyen d'une sonde thermique à 47 °C par exemple), on peut suggérer que l'intensité de la douleur s'accroît, mais pas son ressenti émotionnel, ou bien l'inverse. Dans les deux cas, la douleur augmente, mais ce ne sont pas les mêmes zones du cerveau qui s'activent. Autrement dit, les composantes sensorielle et affective de la douleur sont dissociables, tant sur le plan subjectif que sur le plan neurologique.

Ces premiers résultats ont permis d'asseoir une crédibilité scientifique pour l'hypnose. Depuis lors, des centaines d'études ont été menées, tant dans le domaine clinique que dans le domaine des sciences cognitives.

Les neurosciences entrent en scène

Dans une étude récente réalisée par Stuart Derbyshire, une sonde thermique est placée sur la paume de la main de sujets hypnotisés. On les prévient qu'un stimulus douloureux (la sonde atteignant 48,5 °C) se produira toutes les trente secondes. Mais dans la moitié des cas, le stimulus n'est pas administré ? la sonde reste froide. Les sujets ressentent pourtant la douleur et présentent les mêmes schémas d'activation neuronale que si la sonde était chaude. Ainsi, le cerveau qui s'active normalement sous l'effet d'un stimulus pour l'amener à la conscience peut également « travailler à l'envers » et s'activer sous l'effet d'une suggestion. Selon P. Rainville, « on touche là au domaine encore controversé des rapports entre conscience et physiologie. Pour les neurophysiologistes, la conscience émerge du cerveau et n'a pas d'action sur le corps. Avec une approche comme l'hypnose, on montrerait plutôt qu'en modifiant l'expérience subjective on peut modifier la physiologie. » L. Chertok ne disait pas autre chose : « On peut provoquer un changement corporel au niveau cellulaire par des moyens purement psychologiques. » Il avait même expérimenté sur deux patientes la production de brûlures par suggestion hypnotique. Mais l'opinion scientifique demeura qu'un processus psychique ne pouvait pas agir sur des fonctions physiologiques ne relevant pas du système volontaire.

Maintenant qu'il existe une voie d'observation directe, tous les effets réputés se produire sous hypnose peuvent être investigués, et ils sont nombreux. Les hallucinations visuelles, auditives, tactiles, motrices, temporelles..., qui ont toujours été taxées de complaisance (le sujet se conforme inconsciemment aux attentes de l'hypnotiste) ou de simulation (le sujet joue délibérément un rôle) sont passées au crible de la machine. Avec des résultats étonnants. De manière générale, lorsque le sujet affirme avoir vu, entendu ou ressenti un stimulus qui n'existait pas, mais que l'hypnotiste lui a suggéré, son cerveau a réagi comme si le stimulus avait eu lieu pour de bon. Et cet effet se distingue nettement de la simple visualisation, dans laquelle on demande au sujet d'imaginer le stimulus. Dans ce cas, il est parfaitement conscient de penser au stimulus sans que celui-ci se produise vraiment ? et l'image cérébrale est différente, tandis que sous hypnose il est persuadé d'avoir perçu le stimulus réel ? et l'image cérébrale ressemble à la perception réelle. Pour le cerveau, tout se passe comme si le stimulus était là.

L'hypnose est couramment, et de plus en plus, utilisée en thérapie, mais il ne faudrait pas la confondre avec une thérapie. Un psychiatre peut utiliser l'hypnose, un dentiste aussi, un neurologue, un kinésithérapeute, un sexologue, un dermatologue, et dans tous les cas l'hypnose est une technique qui peut aider à atteindre le but recherché. Elle n'est pas une thérapie en tant que telle. L'hypnose contribue à mettre le patient dans un état de réceptivité favorable aux suggestions, mais seul un spécialiste du problème traité pourra formuler les suggestions souhaitables. L'éventail des applications possibles est très large, potentiellement illimité. En traitement de la migraine, par exemple, une hypnose ciblée, avec des suggestions portant sur la création de plages de calme, sur l'oubli de l'automatisme migraineux et sur la stabilité des vaisseaux sanguins parvient à réduire l'impact des facteurs favorisants ou déclenchants. On constate une amélioration chez deux tiers des migraineux réfractaires aux traitements classiques.

En psychothérapie, l'hypnose peut apporter son concours à une psychanalyse (non conventionnelle) aussi bien qu'à une thérapie brève. Dans tous les cas, l'hypnose est pratiquée sur un mode non autoritaire, bien éloigné du folklore de music-hall. L'idée que l'hypnotiste exercerait un véritable pouvoir sur son sujet n'a plus cours. C'est le sujet qui, par sa confiance, accorde un pseudopouvoir à l'hypnotiste. Il y a un pacte de collaboration entre eux sans lequel aucun travail ne serait possible. Pour le psychothérapeute Thierry Melchior, l'hypnose a des effets particuliers parce qu'il s'agit d'une relation particulière, qui renverse les règles de la communication et brouille les repères habituels. Ainsi écarté de son « mode d'être » normal, le patient est susceptible de s'écarter aussi des schémas qui structurent son comportement et le limitent. Il pourra découvrir de nouvelles ressources et potentialités pour résoudre ses problèmes.
Élisa Brune


L'hypnose quitte le showbiz pour l'hôpital - Migros Magazine

Les soignants se mettent à l'hypnose. Les patients en redemandent. D'où le grand boom actuel de cet outil millénaire qui se démystifie de plus en plus. Car contrairement à la croyance populaire, la technique n’a rien de magique.

L’hypnose est partout. A la télévision, le fascinateur Messmer fait faire n’importe quoi au commun des mortels et aux stars, la «street hypnose» foisonne sur la toile et dans la rue, tandis que l’hypnose thérapeutique et médicale rayonne en cabinets et dans les hôpitaux. Mais parle-t-on de la même chose?

Il n’y a en réalité pas qu’une hypnose. Et l’état hypnotique utilisé pour manipuler des spectateurs ou des passants n’a rien à voir avec son usage thérapeutique. Mais surtout, rien de magique dans l’hypnose! «Ce qu’on appelle médicalement l’état hypnotique est un état modifié de conscience, un état neurologique, naturel, dans lequel on entre tous plusieurs fois par jour», explique Denis Jaccard, hypnothérapeute et directeur de l ’Institut d’hypnose thérapeutique (IHT), à Saint-Aubin (NE).

“Cet état hypnotique se produit soit quand le cerveau perd ses repères et se met en mode de sur­adaptation pour la survie, dans le cas d’une agression par exemple, soit quand il va se sentir particulièrement en sécurité. Il va alors se mettre dans une forme d’imagination, de rêverie.

Le premier cas de figure correspond à un état de confusion où on répond sans remettre en question la demande. C’est ce qui est utilisé dans l’hypnose de spectacle. Dans un objectif thérapeutique, on cherche à accompagner les patients vers le second.» Parce que dans cet état-là, le même que lorsqu’on médite, qu’on est captivé par un livre ou une musique, le cerveau peut accéder à ses ressources de créativité, d’apprentissage, de changement. Sa plasticité est telle qu’il est capable de se remodeler beaucoup plus efficacement. «Dans le cas de la gestion de la douleur, il a été prouvé que le cerveau produit des substances qui le rendent moins sensible; il modifie la communication entre les synapses. Ce n’est pas juste une illusion qu’on a moins mal», complète Denis Jaccard.

Plus qu’un phénomène de mode, un outil de guérison

C’est là la force de cet outil millénaire qui revient sur le devant de la scène. Et si beaucoup imaginent encore l’hypnose sous les traits de Kaa, le serpent du Livre de la jungle, rien n’est plus faux. «On travaille avec les ressources de la personne, dont elle n’est pas forcément consciente», éclaire Régine May, responsable médicale, psychiatre et psychothérapeute au Centre de santé La Corbière, à Estavayer-le-Lac (FR). «C’est un outil où le patient détient lui-même la solution, sans qu’il ait besoin de prendre un quelconque médicament», continue Catherine Salvi-Defrasne, médecin généraliste à La Corbière, diplômée en hypnose médicale et thérapeutique de l’Institut romand d’hypnose suisse (IRYS) (qui forme médecins, psychiatres, psychologues, psychothérapeutes ou dentistes, ndlr). Avec en moyenne quatre consultations d’hypnose par jour, elle l’utilise pour des problématiques médicales physiques et psychologiques telles que des douleurs, des insomnies, des anesthésies, ou thérapeutiques comme l’arrêt du tabac, la peur de l’avion, etc. Une révélation dans sa prise en charge des patients.

Pour elle, le retour de l’hypnose n’est pas qu’un phénomène de mode.

“Les patients veulent être acteurs de leur guérison, ils s’orientent vers une alimentation saine, font davantage de sport, développent des pratiques telles que la méditation, la sophrologie, la kinésiologie. De la même manière, l’hypnose est perçue à juste titre comme un outil de guérison sain et respectueux.»

Surtout depuis Milton Erickson, psychiatre et hypnothérapeute américain qui a vécu jusqu’en 1980, «il est dépassé le temps où le thérapeute utilisait l’hypnose pour prendre le contrôle sur son patient et lui apprendre, sous hypnose, les bonnes façons de vivre sa vie», souligne Denis Jaccard.

De protocoles uniques, on est passé à des méthodes individualisées. «Chaque séance est différente. On la compose avec le patient», témoigne Maryse Davadant. Pionnière dans l’hypnose au CHUV, à Lausanne, cette infirmière la pratique depuis plus de dix ans, dans le service de médecine intensive adulte et au Centre d’antalgie. «L’hypnose a modifié mon approche des patients. Je fais de l’hypnose tout le temps!» En «amenant» les grands brûlés vers leur lieu de sécurité, de confort, pendant la réfection de pansements, en racontant des histoires (des «métaphores») en fonction de la problématique ou en faisant de l’hypnose dite «conversationnelle». «Il n’y a pas toujours besoin de mettre les patients dans un état d’hypnose profond pour qu’ils en retirent des bénéfices», note Maryse Davadant. En pédiatrie, l’hypnose active l’imaginaire pour alléger la pose de cathéters.

De l’efficacité et des économies

Et les résultats sont prouvés: selon une étude publiée par le CHUV en 2010, les patients ont moins de douleurs, sont moins anxieux, cicatrisent mieux et passent moins de temps à l’hôpital. Avec à la clé une économie de 19 000 francs par patient dans le service des grands brûlés.

Selon le travail de master d’un étudiant en médecine, la présence d’un praticien en hypnose diminue aussi le stress des soignants durant le changement des pansements.

“De très bonnes études ont montré les bénéfices de l’hypnose pour la douleur, l’anxiété, les troubles du sommeil ou les maux de ventre en cas notamment de côlon irritable.

Elle est indiquée aussi pour certains problèmes respiratoires, en soins palliatifs. L’hypnose aide les patients à être plus détendus», résume Pierre-Yves Rodondi, médecin associé au CHUV, responsable du Centre de médecine intégrative et complémentaire. Le CHUV réfléchit à la possibilité d’étendre son offre, afin que plus de patients puissent en profiter.

C’est que les demandes d’hypnose explosent, tant de la part des patients que du personnel soignant. Au Centre de santé La Corbière aussi, qui entend bien développer cet «outil efficace, riche, créatif et qui a du potentiel», selon Régine May. L’IHT – chaque année quelque 80 participants, de Suisse et de France – affiche, lui, une hausse de 30% des demandes. Entre 10 et 15 diplômés ouvrent ensuite leur propre cabinet. Les autres intègrent l’hypnose à leur pratique professionnelle existante.

Isabelle Kottelat 

 


Présidente de France EMDR-IMO, Présidente de l'Institut HYPNOTIM à Marseille. Responsable… En savoir plus sur cet auteur


Rédigé le Mercredi 31 Aout 2016 à 16:56 | Lu 1709 fois modifié le Mercredi 5 Octobre 2016