Trois questions pour créer des petits bonheurs.


Dr Marie-Christine Cabié: Thérapies orientées vers les solutions et dépression.


© Claudia Botero
Depuis maintenant trente ans, dans ma pratique de psychiatre de secteur, j’utilise les thérapies orientées vers les solutions.Cette approche, délibérément centrée sur les ressources et les compétences des patients, sur leurs attentes vis-à-vis de la thérapie, ne s’intéresse pas au diagnostic et évite les conversations saturées de problèmes. Pourtant les diagnostics sont utiles pour nous guider dans la prescription de traitements s’ils sont indiqués. Nous avons à poser des questions sur les symptômes pour apprécier leur intensité, l’existence d’un risque ou d’une urgence. Par exemple, il est indispensable d’évaluer le risque suicidaire en cas de dépression. Le modèle de Bruges, développé par Luc Isebaert, avec lequel j’ai eu la chance de travailler, permet de sortir de ce dilemme. Je voudrais présenter ici, à partir d’un cas clinique, notre façon de travailler avec des patients souffrant de dépression. Bien sûr, chaque cas, chaque thérapie est unique.

Cas clinique

Martine G., 49 ans, vient consulter en CMP. De taille moyenne, avec un léger surpoids, toute habillée de noir, elle paraît fatiguée et fixe le sol lorsque je viens la chercher dans la salle d’attente. Je sais seulement qu’elle est adressée par son médecin traitant. Nous prenons place dans mon bureau. Elle n’enlève pas son manteau malgré ma suggestion de se mettre à l’aise. Ma première question est délibérément orientée vers l’avenir.


- Thérapeute : « A quoi puis-je vous être utile ? En nous intéressant d’abord à ce que le patient souhaite obtenir de la thérapie, à un futur meilleur, nous ouvrons d’emblée une porte vers une perspective de mieux-être, ce qui donne de l’espoir. Les patients sont souvent surpris par cette question. Ils s’attendent à ce que nous posions des questions sur leurs problèmes. Ils marquent le plus souvent un temps d’arrêt avant de répondre.

- Martine : C’est mon médecin traitant qui m’a dit de venir. » Martine n’a pas de demande d’aide. L’un des grands principes de thérapie brève est d’aller lentement. Cette réserve de Martine m’incite à prendre le temps de construire une relation de confiance afin de pouvoir faire émerger une demande d’aide.

- Th. : « Que souhaite votre médecin traitant pour vous lorsqu’il vous demande de venir ici ?
- M. : Je ne dors plus, et je n’arrive plus à aller travailler. Il vient de me faire un arrêt de travail. » La tentation est grande de la questionner sur ses symptômes. Ce serait alors tenir pour acquise sa demande d’aide. Je préfère continuer à m’intéresser au fait que bien que réticente, elle a pris rendez-vous et est venue.

- Th. : « Vous traversez une période très difficile, et votre médecin est inquiet pour vous. J’imagine que ce n’est pas facile pour vous de venir consulter en psychiatrie. Est-ce la première fois que vous consultez un psychiatre ? » Martine m’explique alors qu’elle a déjà consulté il y a une dizaine d’années. Elle avait fait une tentative de suicide médicamenteuse à la suite d’une rupture sentimentale. J’explore cette première expérience de consultation psychiatrique. Elle en garde un très mauvais souvenir et l’a interrompue rapidement. Le psychiatre ne disait rien et n’a fait que lui prescrire des médicaments qu’elle n’a pas supportés. Elle ne veut pas prendre de médicaments.

- Th. : « Cela doit être vraiment difficile pour vous d’être là après cette première expérience, je vous remercie d’être venue. Vous devez vraiment avoir confiance dans votre médecin traitant. » Martine acquiesce. Cette reconnaissance de sa difficulté à être là constitue une première pierre dans la construction de la relation. Il me semble alors important d’établir un contexte de sécurité aussi bien pour Martine que pour moi.

- Th. : « Nous faisons tout juste connaissance et j’ai vraiment besoin d’être sûre que ce qui se passe ici vous convient. Je voudrais vous demander s’il vous est possible de m’arrêter et de me signaler si je dis ou fais quelque chose qui vous heurte ? » Martine se redresse un peu et me regarde dans les yeux pour la première fois. Elle accepte. En demandant de l’aide à Martine, je lui signifie que son avis est important pour moi et je l’implique activement dans le processus. Dans le modèle de Bruges, la relation thérapeutique est basée sur une circularité de mandats qui permet de passer d’une relation complémentaire où le thérapeute est en position haute et le patient en position basse, à une relation dans laquelle le patient est expert pour sa thérapie et le thérapeute est expert en thérapie en général. Le patient demande de l’aide au thérapeute ; le thérapeute accepte de l’aider et pour cela lui demande de l’aide. La thérapie est une co-construction dirigée par le patient. En ce qui concerne la relation avec Martine, c’est d’abord moi qui sollicite son aide et qui fait le premier pas dans la mise en oeuvre de la circularité de mandats.
L’exploration de l’expérience dépressive précédente n’est pas terminée. Martine a réussi à aller mieux tout en arrêtant son suivi psychiatrique. Il y a là des ressources et compétences à mettre en évidence et à exploiter.

- Th. : « Comment avez-vous fait pour aller mieux après votre tentative de suicide ? Qu’est-ce qui vous a aidée ?

- M. : Je ne sais pas... J’ai pris sur moi, je me suis forcée à continuer. Ma fille vivait avec moi et je devais m’en occuper. Je me suis sentie très coupable d’avoir fait cela vis-à-vis d’elle. Je me suis centrée sur elle.

- Th. : Donc vous avez pensé à votre fille qui a besoin de vous, et vous vous êtes forcée. Comment avez-vous fait pour vous forcer ? Ce n’est pas facile.

- M. : A mon travail, cela allait mieux que maintenant.

- Th. : Votre travail vous a soutenue, comment cela vous a-t-il soutenue ? » Il est indispensable de reconnecter Martine avec les ressources et compétences qui lui ont permis de dépasser cet épisode. Nous construisons une histoire de compétences sur laquelle s’appuie notre relation. Après avoir vérifié si Martine avait traversé d’autres épisodes dépressifs, je reviens à l’objectif de la thérapie.

- Th. : « A quoi cet entretien peut vous être utile ?

- M. (qui commence à exprimer une demande d’aide) : Peut-être si je peux parler... cela pourrait peut-être me libérer un peu.

- Th. : Ce serait quoi vous libérer un peu ?

- M. : Je me sens bloquée, je ne sais pas comment m’en sortir. » Martine décrit alors une relation amoureuse qu’elle a depuis maintenant cinq ans avec un homme plus jeune qu’elle. Ils ne vivent pas ensemble. Ils partagent une passion commune pour les chats et se sont rencontrés dans un salon. Au début de leur relation, elle l’a beaucoup soutenu dans des difficultés qu’il a maintenant réglées. Elle est progressivement devenue très dépendante de lui et est toujours dans l’attente de son appel téléphonique biquotidien. Dans ces moments d’attente, elle ne peut rien faire d’autre. Elle sait qu’il a d’autres relations avec d’autres femmes, ce qu’elle ne supporte pas. Elle se sent prisonnière de cette relation et ne voit pas d’issue. La solution serait de rompre mais elle s’en sent incapable. Elle a déjà essayé. Du fait de sa passion pour les chats, elle sera de toute façon amenée à le croiser.

- Th. : « Cela doit être horrible ! Comment faites-vous pour tenir le coup ?

- M. : Je ne sais pas.

- Th. : Sur une échelle de -10 à 0, si -10 représente le pire moment que vous avez passé au cours de ces derniers jours, et si 0 signifie que vous arrivez à tenir le coup suffisamment bien, où en êtes-vous entre -10 et 0 ? »

Martine répond
– 8. L’utilisation d’une telle échelle a plusieurs intérêts : elle permet de sortir du tout ou rien, de repérer de petits changements, les exceptions, et de définir un objectif. Définir l’échelle de façon négative est ici une façon de s’affilier au vécu dépressif de Martine. Dans un premier temps nous travaillons sur la façon dont elle a réussi à passer de -10 à -8. Nous examinons les changements avant la première séance. Les patients mettent toujours en place de petits changements entre le moment où ils prennent rendez-vous et la première séance. Le plus souvent ils ne pensent pas à nous en parler. Pour eux, la thérapie commence lors de notre rencontre.

- M. : « J’ai pu m’habiller ce matin et sortir faire des courses, avant de venir vous voir. Je n’étais pas sortie depuis trois jours.

- Th. : Qu’est-ce qui a fait que vous avez pu le faire ce matin ?

- M. : Il fallait que je sorte pour venir vous voir, et je n’avais plus rien à manger. » Je la complimente sur sa capacité à tenir ses engagements et lui demande comment elle s’est sentie en sortant. Elle répond qu’elle a eu une sensation d’étrangeté et que c’était sans doute moins pire que de rester enfermée chez elle.

- Th. « Qu’est-ce qu’il y a d’autre entre -10 et -8 ?

- M. : Ma fille m’a appelée et elle doit passer me voir tout à l’heure. » Et je continue ce questionnement jusqu’à ce qu’elle dise « rien d’autre ». Ces petits changements sont devenus de grandes réussites...
Dans cette première partie du travail avec les échelles, nous recherchons également les exceptions. Ce sont les moments où le problème ne se produit pas ou est moins intense.

- Th. : « Dans la semaine qui vient de se passer, y a-t-il eu un moment qui vous a semblé moins pire ? » Martine a du mal à répondre à cette question, elle finit par évoquer les moments où elle s’occupe de ses chats et les moments où elle est en lien avec sa fille. Je lui pose des questions sur ses autres liens, sur sa famille, ses amis, à la recherche de soutiens possibles : ses parents sont âgés, sa mère est tyrannique, lui impose de venir les voir toutes les semaines à la même heure, elle est toujours critique à son égard, quoi qu’elle fasse, son père est en retrait. Une de ses soeurs habite près de chez elle. Elles peuvent se rendre des services mais elle ne se confie pas à elle. Elle a quelques amis, mais ils partagent sa passion pour les chats et connaissent son ami. Elle ne peut pas leur parler. Seule sa fille et ses chats sont de vrais soutiens. Mais sa fille a 23 ans, est partie de chez elle il y a un an et Martine ne veut pas l’embêter. Elle a le sentiment d’être extrêmement seule. Elle se met à pleurer.

- Th. : « C’est terrible ce que vous me décrivez, est-ce que vous avez des idées suicidaires ? Elle me dit y penser souvent. - Th. : Est-ce que vous savez comment vous feriez ?

- M. : Non, mais je pense que je serais plus tranquille si j’étais morte.

- Th. : Comment faites-vous pour repousser ces idées ?

- M. : Je m’occupe de mes chats et je me mets au lit. Je pense à ma fille. » Nous pouvons alors nous intéresser à ses raisons de vivre. Je lui demande de me parler un peu plus de ses chats. Elle en élève quelques-uns et les fait participer à des concours. Une de ses chattes a gagné un prix. Je la questionne aussi sur sa fille, ce qu’elle apprécie chez elle, ce dont elle est fière... et également sur la façon dont elle a géré son départ, comment leur relation a évolué depuis, ce qui lui convient dans cette évolution.

Puis nous revenons à l’échelle...

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Dr MARIE-CHRISTINE CABIÉ

Psychiatre des Hôpitaux, psychothérapeute, formatrice en thérapie familiale systémique,
thérapies brèves, hypnose ericksonienne. Présidente de l’Association européenne de thérapie brève (EBTA). Membre du comité de rédaction de la revue « Thérapie familiale ».
Directrice de la collection Relations aux éditions Erès. Formation à l’hypnose ericksonienne en 1985-1986 avec Jean Godin, puis mastercourse en 1995-1996-1997 avec Jeffrey Zeig, Stephen Gilligan, Yvonne Dolan, Ch. Johnson, Gunther Schmidt, Ernest Rossi.

Sophie TOURNOUËR

DR MARIE-CHRISTINE CABIE ET SOPHIE TOURNOUËR EN FORMATION THÉRAPIES BRÈVES ORIENTÉES SOLUTION
Psychologue Clinicienne, Hypnothérapeute, Thérapeute Familiale et de Couple, elle pratique et enseigne les Thérapies Brèves Orientées Solutions à l'Institut Hypnotim à Marseille, au CHTIP Collège d'Hypnose et Thérapies Intégratives de Paris, et à l'Institut In-Dolore

Formations en Thérapies Familiales
- DESU Thérapies familiales et pratiques systémiques, Paris 8.
- Perfectionnement en thérapies familiales, Centre Monceau.
- Groupe d’analyse familiale, CECCOF.
- Supervision clinique en thérapie familiale, APRTF.
- Résonances familiales, APRTF.

- Formation - Approche interactionnelle et stratégique de Palo Alto, IGB.
- Formation - Thérapies brèves orientées solutions, Familia.
- Formation - Thérapies narratives, Hexafor.
- Formation - Hypnose Ericksonienne, Thérapies intégratives, EMDR - IMO, CHTIP

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Cet ouvrage de 228 pages analyse la dépression et les traitements de cette maladie qui frappe à un moment ou à un autre, selon l’OMS, 15% de la population mondiale de 15 à 75 ans. Les dix neufs auteurs qui contribuent à ce hors-série témoignent chacun à sa manière d’un savoir-faire en matière de prise en charge des patients déprimés. Loin des thérapies standardisées et de l’utilisation des psychotropes, ils montrent la singularité de chaque séance et invitent le lecteur à s’étonner, réfléchir et expérimenter pour sa propre pratique. Catherine Leloutre-Guibert a coordonné ce hors-série avec Sophie Cohen, rédactrice en chef.

Sommaire :

Douleur chronique et dépression. D. Le Breton

La dépression : un trouble attentionnel ? J.-M. Benhaiem

La grossesse, le devenir parent. H. Saulnier

Attitudes paradoxales. V. Torres-Lacaze et G. Delannoy

Plutôt que la drogue. D. Roberts

Naître dans la dépression maternelle. E. Bardot

Le deuil au pays de l’individualisme. J. Betbèze

L’hypnose dans la dépression du sujet âgé. M. Floccia, S. Lagouarde et M. Le Rudulier

Un exemple de la thérapie stratégique. D. Vergriete

Le médecin généraliste face à un patient dépressif. P. Le Grand

Trois questions pour créer des petits bonheurs. M.-C. Cabié

L’hypnose pour reprendre vie. C. Leloutre-Guibert

Mémoire du futur. M. Nannini

Stratégies thérapeutiques dans la dépression. W. Martineau

Dermatoses chroniques. V. Bonnet

Antidépresseurs, un long sevrage. C. Virot

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Présidente de France EMDR-IMO, Présidente de l'Institut HYPNOTIM à Marseille. Responsable… En savoir plus sur cet auteur


Rédigé le Mercredi 21 Avril 2021 à 23:19 | Lu 1150 fois modifié le Samedi 22 Mai 2021