Lors d’un voyage lointain, notre collaboratrice, psychologue et hypnothérapeute, est renversée par une automobile. Elle nous raconte ce qu’elle a expérimenté, dans les deux sens de ce mot : ce qu’elle a vécu en tant que moment exceptionnel de vie, et ce qu’elle a mis en pratique de son savoir professionnel. Et tente d’extraire ce qui pourra être utile à ses patients.
Chers lecteurs, pourquoi ce texte ? Mon histoire récente est un peu celle de l’arroseur arrosé ! Il n’est, en effet, pas coutumier d’avoir un grave accident de la circulation à 7000 kilomètres de chez soi. J’étais piéton.
Quelques éléments du contexte. Avec 5 fractures à la jambe gauche (col du fémur, fémur, petit trochanter, tête du péroné et malléole interne), je serai rapatriée au septième jour en France. Une perte de conscience d’environ 5 minutes. Je passerai trois nuits dans la ville du lieu de l’accident, je patienterai encore trois nuits dans un hôpital dit de « standard international » d’une grande ville avant d’être rapatriée en France. Le lendemain de mon arrivée à Paris, je suis opérée des fractures fémur et col du fémur ; durée de l’intervention : 5 heures. Pour les fractures péroné et malléole, il sera proposé une immobilisation. Le petit trochanter devant se remettre seul. Depuis mon arrivée en France, quelques deux mois après mon accident, j’ai pris moins de 10 antalgiques : 5 paracétamol d’un gramme. J’ai fait beaucoup rire les soignants du centre de réadaptation dans lequel j’ai été hospitalisée un peu plus de quatre semaines. Cinq fois par jour, ils me proposaient des antalgiques, leur phrase était : « Alors, toujours pas de D. ? » (D. : nom de l’antalgique proposé)
COMMENT L’HYPNOSE M’A AIDÉE ? EST-CE DE L’HYPNOSE ? COMMENT UTILISER CES EXPÉRIENCES POUR NOS PATIENTS ?
Pendant les heures qui ont suivi l’accident, je me suis accrochée à des personnes autour de moi. D’abord, à une personne médecin qui était présente lors de l’accident, très efficace pour diriger les examens et les premiers soins à effectuer. Puis, successivement, à ma compagne de chambre d’hôtel pendant la première nuit d’hôpital, et à celle que je nomme mon « ange », dont j’avais fait la connaissance la veille de l’accident, et qui s’est occupée de moi, les jours de mon hospitalisation dans cette première ville, comme d’un être très cher. Le fait de savoir ces personnes autour de moi, je sais que je peux lâcher, faire confiance, me laisser aller à l’instant présent sans chercher à forcer quoi que ce soit de ma présence. Pas besoin d’ouvrir les yeux, pas besoin d’enregistrer, juste me laisser être. C’est dans cette posture d’être que je prends l’énergie nécessaire. Ces personnes sont précieuses, car elles me permettent de fermer les yeux et de ne m’occuper de rien. Je me permets de m’occuper de moi, de la vie en moi qui a été bousculée par ce qui est arrivé, de concentrer toutes mes forces pour être.
Avec nos patients : les accompagner à repérer avec qui et à quels moments ils peuvent lâcher, se reposer, concentrer leurs forces pour être. A savoir concentrer leur attention sur les manifestations de la vie, là maintenant, au travers de leur respiration et aussi de toutes les sensations de leur corps : bruits, sensations…
Des premières heures qui suivent l’accident, seuls des flashs et des images restent. Je sens que quelque chose de grave s’est produit, sans avoir de souvenirs de ce qui est arrivé. Je vois les visages autour de moi, et sur ces visages, je lis l’inquiétude. D’après les tons de voix, j’entends l’anxiété. Alors, je m’efforce de rassurer, je suis là, je parle et je suis vivante. Je sens et je sais intérieurement que c’est l’essentiel.
Lorsque je suis seule, je ferme les yeux, je me concentre sur l’être. J’ai cette sensation de certitude étrange que cela me permet de reconstruire mes forces. Je me restaure dans l’espace du « rien ». Le calme est ma force. Les autres autour me le disent : « Tu es époustouflante par tant de calme, tant de force ». Je ne fais rien d’autre que de me concentrer sur l’instant présent, sur les secondes dans lesquelles je sens que je suis vivante. Je ne suis aucunement dans les pensées ou l’interprétation. Si j’avais été dans le mental, cela aurait pu être : « Mon dieu, quelle catastrophe, c’est terrible. Je ne vais pas m’en remettre. Comment ça va se passer ? C’est grave … » Toutes ces phrases, pensées, avec lesquelles on s’inquiète et l’on gaspille notre précieuse énergie de vie.
Avec nos patients, on pourrait juste utiliser cette expérience en leur demandant de sentir le flot de vie dans les micros secondes, dans chaque partie de leur corps. De sentir simplement que l’on est vivant avec les sensations qui sont là. Sans mettre d’autre chose, sans introduire interprétation ou jugement. Juste sentir la vie qui s’écoule, la respiration qui se fait, la chaleur à tel ou tel endroit du corps, le froid, les tiraillements, les fourmillements… Juste être présent à ce qui est, à ce qui se déroule là. Écouter les bruits, les voix, être présent à ce que l’on voit. Se mettre dans le mode existentiel. Pas dans le monde des pensées qui nous amène à juger, évaluer, comparer, attendre, être déçu. Toutes ces choses avec lesquelles nous pouvons nous rendre malheureux.
Des trois premiers jours, je me souviens de l’attente : « Demain, vous allez être évacuée sur Paris », me répète Untel ou Untel de la compagnie d’assurance par téléphone. Je finirai par comprendre que demain, signifie plus tard. Il suffit de posséder le code ! Les échanges avec la compagnie d’assurance me demandent une haute qualité de présence. Dans les autres moments de ma vie, « Être, ne rien dire de trop de sorte de juste vivre » pourrait être ma devise. « Être en mode économique, ne pas gaspiller cette précieuse énergie qui est celle de la vie, sentir cette précieuse énergie qui coule dans nos veines, sentir cette précieuse énergie à travers la respiration qui vient aérer, réchauffer, refroidir, faire tout ce qu’il y a à faire dans toutes les parties de notre corps. Ne pas gaspiller cette merveilleuse énergie de la vie à spéculer, à échafauder des plans sur lesquels nous nous accrochons avec rigidité. Il s’agit de ne pas se fixer des choses que rigidement nous voudrions qu’elles adviennent, car nous ne sommes plus alors dans la vie mais dans l’attente de ce que nous voudrions que la vie soit ! » C’est très souvent avec ce genre de pensées que nous nous rendons malheureux et que nous gaspillons notre être.
Ma jambe gauche est immobile. Être allongée est fatigant. Cependant, dans le contexte, c’est la seule position possible. Alors, c’est ainsi. Je reste calme dans cette position qui est la seule qui soit possible. Je me mets en mode existentiel. Je ne cherche pas une autre position, puisque c’est la seule possible. C’est celle-ci avec laquelle je suis simplement. C’est aussi prévenir, prévenir en France, qui est urgent. Avec nos magnifiques téléphones où tout est enregistré, et alors que je n’ai pas emmené avec moi cet engin, seuls quelques numéros restent entiers dans ma mémoire. Ces numéros ne répondent pas. Je finirais par joindre une personne de ma famille que je ne veux pas inquiéter. Je prendrais une voix de composition de sorte d’être rassurante, demandant simplement à ce que mon mari me rappelle sur tel numéro ! Il me semble que cette première nuit, je ne dors pas, je me repose. Comme avec mes patients en hypnose, je me répète que l’important n’est pas de dormir mais de se reposer. Finirais-je par m’endormir ? Je sais qu’avec tous les bruits environnants, je suis là. J’entends, donc je suis là. Tout ce qui se passe me rappelle que je suis là, vivante.
Y compris les bruits qui pourraient être interprétés dérangeants, ces stimuli sonores me rassurent simplement, ils me disent : « Tu es vivante ! ». Je reste donc de plus en plus calme, les choses qui auraient pu en d’autres temps m’agacer renforcent mon calme. Cette tranquillité dont j’ai vitalement besoin. Le reste a peu d’importance, ou plus exactement n’existe pas. L’interprétation ou le temps sont des données extérieures à moi. Je suis concentrée, là, présente, dans chaque instant. Les choses sont ce qu’elle sont, je ne cherche pas à changer quoi que ce soit. Je ne cherche pas non plus à changer les êtres qui m’entourent. Ils sont ce qu’ils sont et je prends tout ce qu’ils peuvent m’apporter. Et il y a beaucoup en chacun. C’est un autre travail que nous pouvons effectuer avec nos patients. Nous voudrions, en temps ordinaire, tellement que les gens soient ce que nous voudrions qu’ils soient. Ces attentes nous rendent déçus, amers, aigris.