L’hypnose en guise de thérapie. Le Courrier Picard
Psychiatres, dermatologues, pédiatres, anesthésistes, chirurgiens…: différents praticiens font appel à l’hypnose. Un colloque les a réunis récemment au CHU.
Non, l’hypnose n’est pas seulement une pratique de music-hall, aussi fascinante qu’inquiétante ! Elle est également utilisée pour soigner, que ce soit chez le « psy », au bloc opératoire, aux urgences, chez le spécialiste, en ville comme à l’hôpital. « L’hypnose se pratiquait déjà dans l’Antiquité . La pratique s’est perdue car on ne pouvait pas en objectiver scientifiquement les effets. Puis, elle est revenue dans les années 80 avec l’IRM [Imagerie par résonance magnétique] qui a permis de constater pendant les transes, une activité cérébrale particulière, qui n’était pas celle du sommeil », explique le docteur Virginie Maréchal, psychiatre, hypnothérapeute au CHU d’Amiens, qui a participé à l’organisation à Amiens d’un colloque ayant pour thème : le soin par l’hypnose.
Mobiliser les ressources de son imaginaire
« Il s’agit d’un outil parmi d’autres. Et nous travaillons en interdisciplinarité : ce sont des confrères des autres spécialités qui me sollicitent et me demandent si, dans tel cas, l’hypnose ne serait pas une réponse adaptée », explique celle qui est praticien hospitalier.
Cas pratique : cette patiente qui, à la consultation, se plaignait d’un genou et était à bout d’antalgiques. « Nous avons fait cinq séances lors desquelles nous avons travaillé les émotions centrées autour du genou. Lors des transes, je lui ai demandé de se rappeler un moment où elle n’avait pas mal et lui ai proposé de retourner dans ce souvenir agréable.
La prise en charge consiste à aider le patient à mobiliser des ressources qu’il peut trouver dans son imaginaire. » Autre cas, cette jeune fille âgée de 18 ans, qui souffrait d’anxiété au point, à l’approche d’examens de ne plus être capable d’accomplir des actes de la vie quotidienne. « Elle m’a expliqué qu’elle aimait jardiner, qu’elle aimait les fleurs. En transe, je lui ai proposé de s’occuper d’une serre, de réaliser des bouquets de fleurs.
C’est une métaphore. Il s’agit de ramener le patient dans sa sensorialité, afin qu’il utilise son potentiel propice à retrouver un équilibre. Ajuster pour transformer, créer, apaiser. » Qu’en pensent les « somaticiens », ces médecins qui connaissent le corps et ses organes ? « Au début, ils étaient dubitatifs. Puis, à l’occasion de prises en charge communes, ils ont pu observer des résultats. Aujourd’hui, des confrères nous demandent de venir au lit du malade et si l’hypnose est indiquée », explique encore le docteur Maréchal. Environ 220 professionnels de santé ont évoqué leur expérience lors du colloque qui s’est tenu début décembre au CHU.
L’hypnose est principalement connue pour soigner la douleur ; elle est également utilisée en obstétrique pour préparer à l’accouchement ; en dermatologie pour soigner les psoriasis et les eczémas ; en pédiatrie, pour aborder les jeunes patients ; en gastrologie et en psychiatrie pour les stress post-traumatiques. Au CHU d’Amiens, des praticiens hospitaliers sont également formés à l’hypnose dans les services de pédiatrie et d’anesthésie. L’hypnose est enseignée dans des instituts reconnus et dans certaines facultés de médecine (Lille, Paris mais pas Amiens) où elle fait l’objet de diplômes universitaires. Elle prend sa place dans les CHU en France et sa portée thérapeutique intéresse de plus en plus de soignants au CHU d’Amiens. Benoît Delespierre
Non, l’hypnose n’est pas seulement une pratique de music-hall, aussi fascinante qu’inquiétante ! Elle est également utilisée pour soigner, que ce soit chez le « psy », au bloc opératoire, aux urgences, chez le spécialiste, en ville comme à l’hôpital. « L’hypnose se pratiquait déjà dans l’Antiquité . La pratique s’est perdue car on ne pouvait pas en objectiver scientifiquement les effets. Puis, elle est revenue dans les années 80 avec l’IRM [Imagerie par résonance magnétique] qui a permis de constater pendant les transes, une activité cérébrale particulière, qui n’était pas celle du sommeil », explique le docteur Virginie Maréchal, psychiatre, hypnothérapeute au CHU d’Amiens, qui a participé à l’organisation à Amiens d’un colloque ayant pour thème : le soin par l’hypnose.
Mobiliser les ressources de son imaginaire
« Il s’agit d’un outil parmi d’autres. Et nous travaillons en interdisciplinarité : ce sont des confrères des autres spécialités qui me sollicitent et me demandent si, dans tel cas, l’hypnose ne serait pas une réponse adaptée », explique celle qui est praticien hospitalier.
Cas pratique : cette patiente qui, à la consultation, se plaignait d’un genou et était à bout d’antalgiques. « Nous avons fait cinq séances lors desquelles nous avons travaillé les émotions centrées autour du genou. Lors des transes, je lui ai demandé de se rappeler un moment où elle n’avait pas mal et lui ai proposé de retourner dans ce souvenir agréable.
La prise en charge consiste à aider le patient à mobiliser des ressources qu’il peut trouver dans son imaginaire. » Autre cas, cette jeune fille âgée de 18 ans, qui souffrait d’anxiété au point, à l’approche d’examens de ne plus être capable d’accomplir des actes de la vie quotidienne. « Elle m’a expliqué qu’elle aimait jardiner, qu’elle aimait les fleurs. En transe, je lui ai proposé de s’occuper d’une serre, de réaliser des bouquets de fleurs.
C’est une métaphore. Il s’agit de ramener le patient dans sa sensorialité, afin qu’il utilise son potentiel propice à retrouver un équilibre. Ajuster pour transformer, créer, apaiser. » Qu’en pensent les « somaticiens », ces médecins qui connaissent le corps et ses organes ? « Au début, ils étaient dubitatifs. Puis, à l’occasion de prises en charge communes, ils ont pu observer des résultats. Aujourd’hui, des confrères nous demandent de venir au lit du malade et si l’hypnose est indiquée », explique encore le docteur Maréchal. Environ 220 professionnels de santé ont évoqué leur expérience lors du colloque qui s’est tenu début décembre au CHU.
L’hypnose est principalement connue pour soigner la douleur ; elle est également utilisée en obstétrique pour préparer à l’accouchement ; en dermatologie pour soigner les psoriasis et les eczémas ; en pédiatrie, pour aborder les jeunes patients ; en gastrologie et en psychiatrie pour les stress post-traumatiques. Au CHU d’Amiens, des praticiens hospitaliers sont également formés à l’hypnose dans les services de pédiatrie et d’anesthésie. L’hypnose est enseignée dans des instituts reconnus et dans certaines facultés de médecine (Lille, Paris mais pas Amiens) où elle fait l’objet de diplômes universitaires. Elle prend sa place dans les CHU en France et sa portée thérapeutique intéresse de plus en plus de soignants au CHU d’Amiens. Benoît Delespierre
Comment l'hypnose agit sur le cerveau
par Marie-Élisabeth Faymonville, Pierre Maquet, Steven Laureys.
Entrepris il y a une dizaine d'années, les travaux de neuro-imagerie apportent déjà plusieurs résultats importants. Ils prouvent que l'hypnose modifie bien le fonctionnement cérébral. Et ouvrent de nouvelles pistes pour comprendre les mécanismes cérébraux de la douleur.
Comment objectiver l'hypnose ? Depuis le XVIIIe siècle, les scientifiques qui se penchent sur cette question se heurtent à un problème de taille : les sujets sous hypnose sont-ils ou non dans un état neurologique particulier, comme le prétend dès le XVIIIe siècle le médecin viennois Franz Mesmer, suivi, à la fin du XIXe siècle, par le neurologue français Charcot ? Ne sont-ils pas uniquement en proie à la force de leur imagination ? C'est ce que soutient, à l'époque de Charcot, le professeur de médecine Hyppolite Bernheim de l'université de Nancy. Certes, leur corps semble relâché et ils se soumettent à des suggestions... Mais sont-ils pour autant dans un état neurophysiologique spécifique ?
Pour trancher le débat, plusieurs psychologues et neurologues lancent au début du XXe siècle des travaux expérimentaux. À la fin des années 1950, ces recherches prennent un véritable essor grâce à la mise au point de la première échelle d'« hypnotisabilité » standardisée [1] . Elle est conçue par le psychiatre américain Ernest Hilgard et le psychologue canadien André Weitzenhoffer, qui travaillent tous deux dans le laboratoire de recherche sur l'hypnose de l'université Stanford.
À l'époque, il est très difficile d'étudier l'hypnose d'une manière scientifique sans passer pour un farfelu. Les diverses échelles qui existent pour mesurer si un individu est plus ou moins hypnotisable sont très hétérogènes. Or les scientifiques ont besoin d'un outil fiable : ils veulent comparer les réactions neurophysiologiques d'individus très et très peu hypnotisables pour trouver un marqueur biologique de l'hypnose. L'échelle de Hilgard répond à cette demande. Elle est fondée sur une mesure précise de la réponse individuelle à une liste de suggestions standardisées. Une partie des suggestions cherche à induire des réponses motrices, telles la fermeture des yeux, la rigidité des membres, la lévitation un bras qui se lève tout seul, une seconde partie tente de susciter des phénomènes mentaux, par exemple faire abstraction d'une odeur d'ammoniac alors qu'elle existe, entendre un moustique voler alors qu'il n'y en a aucun...
Échelles standardisées
Ernest Hilgard a aussi découvert par hasard la dissociation hypnotique en faisant l'expérience suivante : l'hypnotiseur suggère au sujet qu'il est sourd ; il semble le devenir et ne répond plus à aucune question ; pourtant, si l'hypnotiseur lui demande de bouger un membre, le sujet s'exécute. Lui-même étonné par ce résultat, Hilgard en conclut que la conscience semble dissociée en deux états différents.
Cette découverte et la standardisation des échelles déclenchent un nouveau courant de recherche. On va d'abord établir que dans la population générale 25 % des individus ont une très forte capacité à être hypnotisés, 50 % l'ont moyennement, et 25 % l'ont très peu. Puis on observe que les sujets sous hypnose ont des mouvements oculaires latéraux lents qui ne peuvent être mimés volontairement à l'état d'éveil. Et une hypothèse émerge dans les années 1970 : l'état hypnotique correspondrait à une activation préférentielle de l'hémisphère cérébral droit, siège du fonctionnement imaginatif. Selon cette hypothèse, l'activation serait d'autant plus importante que le sujet est très hypnotisable. C'est ce que plusieurs équipes vont s'évertuer à vérifier pendant une dizaine d'années. Ainsi, au laboratoire de Stanford, l'équipe de Hilgard tente d'identifier cette différence par électroencéphalographie EEG. Helen Crawford, à l'université de Virginie, se lance dans la même voie. En vain.
En 1985, Lee Baer de l'université de Pennsylvanie recourt pour la première fois à l'imagerie cérébrale pour étudier l'hypnose : il utilise la tomographie à émission de positons TEP * , avec du carbone 15 comme radiotraceur chez trois sujets sous hypnose chez lesquels il n'identifie aucune dissymétrie. Puis Helen Crawford fait la même expérience avec cette fois du xénon 133 sans rien identifier de spécifique non plus. Pas plus que l'EEG, les premières études utilisant l'imagerie n'ont donc trouvé d'activité cérébrale régionale spécifique à l'hypnose [2, 3, 4, 5] .
Parallèlement, on continue à rechercher une signature physiologique du phénomène. On mesure divers paramètres chez les sujets sous hypnose : pression artérielle, rythme cardiaque, fréquence respiratoire, diamètre pupillaire. Sans rien trouver de suffisamment déterminant de ce côté non plus.
Une activité cérébrale particulière
Certaines équipes, dont celle de H. Crawford, tentent alors d'utiliser une autre technique, la méthode des potentiels évoqués. Elle consiste à enregistrer par EEG la réponse cérébrale des sujets à un stimulus visuel un point lumineux sur un écran, ou sonore un bip, ou bien encore tactile un courant électrique dans un nerf. On essaie de comparer les résultats quand les sujets sont éveillés, sous hypnose, et selon leur degré d'hypnotisabilité. Cette fois encore, les différences observées sont trop légères et hétérogènes pour être significatives. Ceux qui nient l'existence d'un état spécifique à l'hypnose auraient-ils finalement raison ? Ou bien les mesures de l'activité cérébrale sont-elles encore trop imprécises pour identifier les subtiles modifications neurophysiologiques induites par le phénomène ?
En parallèle à toutes ces recherches infructueuses, je commence de mon côté, au début des années 1990, à utiliser l'hypnosédation * comme une autre voie que l'anesthésie générale dans le service où je travaille - grands brûlés et chirurgie plastique - au CHU de Liège. Anesthésiste de formation, j'ai découvert cette technique à la suite d'un séminaire. Je suis la première surprise par ses résultats : avec l'hypnose, j'améliore vraiment le confort des patients durant leur opération, tout en diminuant de façon considérable les doses de sédatifs qu'on leur donne en complément. Le phénomène semble bien relever d'un état neurophysiologique particulier. À mon tour, je pose la question : comment le prouver ?
On est en 1993. Les progrès de la TEP permettent de connaître de mieux en mieux le métabolisme cérébral régional. Cette technique nécessite la proximité d'un cyclotron pour produire les isotopes radioactifs qui servent de traceur. Or il en existe un à Liège. Le neurologue Pierre Maquet y travaille sur le sommeil. Forte de mon expérience d'anesthésiste pratiquant l'hypnose sur le « tout-venant » sans pathologie psychiatrique, je le convaincs de réaliser une étude par TEP sur le sujet. Le projet est lancé dans le cadre du Fonds national de recherche scientifique équivalent belge de l'Inserm. Nous voulons identifier l'existence d'un état cérébral hypnotique spécifique. Nous mettons au point un protocole qui repose sur une technique que j'utilise en chirurgie sous hypnosédation : faire revivre au patient un moment de vacances agréable. Nous sommes les premiers à utiliser l'eau marquée à l'oxygène 15, un radiotraceur de très courte durée d'action, ce qui permet d'augmenter le nombre d'expériences chez le même sujet, donc la puissance statistique des résultats. Nous faisons l'expérience sur neuf sujets.
Validation de l'état hypnotique
Dans un premier temps, nous demandons à chacun de se rappeler un souvenir de vacances de façon très intense en visualisant mentalement les scènes, les paroles, voire les odeurs qui lui sont liées. L'expérimentateur note tous les éléments. Ensuite nous comparons avec la TEP l'activité cérébrale des sujets dans trois situations : le sujet éveillé écoute les phrases de l'expérimentateur qui lui rappelle ses vacances remémoration autobiographique ; toujours éveillé, il écoute la bande-son des paroles de l'expérimentateur à l'envers pour éviter de penser à ses vacances ; enfin il écoute ces paroles sous hypnose. Ce protocole exige évidemment que nous validions l'état hypnotique correspondant à cette troisième situation. Comme il n'existe aucun moyen objectif de certifier cet état, nous nous appuyons sur un faisceau d'observations : présence de mouvements oculaires latéraux lents ; mouvement des pieds que nous demandons au sujet de faire ; enregistrement EEG prouvant que le sujet ne dort pas ; enfin enregistrement de la détente musculaire à l'aide de capteurs fixés au menton. Selon nous, la présence de ces quatre paramètres suffit à valider l'état hypnotique.
Modulation des perceptions
Cette expérience va enfin lever le voile sur l'existence de corrélats neuronaux spécifiques à l'hypnose. Lorsque le sujet éveillé se rappelle un souvenir, il active surtout les lobes temporaux droit et gauche. Ces mêmes régions ne s'activent pas lorsque le sujet éveillé ne pense à rien bande à l'envers, ni lorsqu'il est sous hypnose et qu'il revit ses vacances. En revanche, sous hypnose, il active un réseau qui comporte les régions de la vision occipitale, des sensations pariétale et de la motricité précentrale, comme s'il voyait, sentait et bougeait, alors qu'il est immobile. Ces données objectives concordent avec le rapport subjectif des participants : ils mentionnent invariablement l'impression de « revivre » sous hypnose des moments agréables, alors que pendant la remémoration d'événements agréables en conscience habituelle, ils se « souviennent » seulement de leur vécu. Deuxième différence majeure : le précuneus région du cortex pariétal et le cortex cingulaire postérieur sont désactivés en cours d'hypnose. Or ces régions sont très actives, lorsque le sujet est éveillé, même lorsqu'il ne pense à rien écoute de la bande-son à l'envers. Et on a déjà observé une désactivation de ces zones dans certaines phases du sommeil ou dans les états végétatifs, donc dans des états modifiés de conscience.
Cette expérience est la première à montrer un état cérébral particulier du sujet sous hypnose [6] . D'autres travaux portant sur les illusions perceptives vont conforter ce résultat. L'équipe de Henry Szechtman de l'université canadienne de Waterloo monte une expérience en 1998 avec huit sujets suffisamment mélomanes pour se rappeler précisément un morceau de musique [7] . Cette étude réalisée par TEP montre la même activation dans le cortex cingulaire antérieur aire 32 de la région de Brodman lorsqu'un sujet écoute un morceau de musique ou si on lui demande de se le rappeler sous hypnose. Or cette activation n'existe pas, lorsqu'on lui demande de se souvenir du morceau et qu'il est éveillé.
Plus troublant encore, en 2000, l'équipe de Stephen Kosslyn à Harvard montre que l'état hypnotique permet de moduler la perception des couleurs [8] . Dans cette étude, on demande au sujet éveillé de regarder un panneau constitué de carreaux colorés puis uniquement en gris. Si on lui donne le panneau coloré à voir, les deux régions du cerveau impliquées dans la perception des couleurs, situées au niveau du lobe occipital, s'activent ; si on lui demande d'imaginer que le panneau coloré est gris, elles restent actives. En revanche, quand on répète l'opération sous hypnose, les deux régions se désactivent quand on lui demande d'imaginer que le panneau coloré est gris. Sous hypnose, le sujet peut donc croire à des illusions auditives ou visuelles dont on trouve des traces cérébrales.
Avec ces travaux, nous avons donc acquis une première certitude : l'état hypnotique correspond bien à un état cérébral particulier. Mais comment cet état agit-il au niveau cérébral pour moduler la perception de la douleur ? Pour étudier cette question, nous devons partir des connaissances actuelles sur la neuro-anatomie de la nociception. La douleur est une expérience subjective sensorielle et émotionnelle désagréable liée à une lésion d'un tissu, potentielle ou réelle. Autrement dit, est douloureux ce que le patient ressent comme tel. L'information de la perception douloureuse est acheminée, via les fibres nerveuses, d'abord vers la moelle épinière et de là vers le thalamus puis vers différentes régions du cerveau, le cortex cingulaire antérieur, l'insula, le cortex somatosensoriel, les noyaux caudés et l'amygdale. Le thalamus intervient comme une station relais par laquelle l'information douloureuse transite vers ces autres zones corticales ou sous-corticales.
Traitement en réseau
La cartographie cérébrale indique un fonctionnement en réseau de ces zones vraisemblablement pour décoder les différentes composantes de la douleur : la première, sensorielle, encodée principalement au niveau de l'insula et du cortex somatosensoriel, permet au patient d'interpréter la sensation ça pique, ça tire, ça pince..., sa localisation et son intensité ; la deuxième, émotionnelle, encodée principalement au niveau du cortex cingulaire antérieur, signale l'inconfort la douleur nous agace, nous épuise, nous use... ; la troisième enfin, cognitivocomportementale, plutôt traitée dans les cortex préfrontal et prémoteur, sert à interpréter la douleur et à modifier notre comportement en conséquence. Force est de reconnaître que, ce traitement en réseau étant très subtil, on est encore loin de le connaître avec précision. En 1997, Pierre Rainville, de l'université McGill à Montréal, a d'ailleurs eu l'idée d'utiliser l'hypnose pour étudier la composante émotionnelle de la douleur [9] . Dans son expérience, il maintient un stimulus douloureux constant main gauche plongée dans l'eau à 47 ° et observe une augmentation significative de l'activité du cortex cingulaire antérieur si on suggère aux sujets sous hypnose que leur inconfort augmente. Il en conclut que le cortex cingulaire antérieur encode le ressenti émotionnel suscité par le stimulus douloureux. Cette recherche, qui s'est servie de l'hypnose comme un moyen d'étude, pointe le rôle spécifique du cortex cingulaire antérieur dans la modulation de l'émotion douloureuse.
Diminution de la douleur
De notre côté, avec Pierre Maquet et Steven Laureys, nous voulons comprendre l'effet cérébral de l'hypnose sur la perception de la douleur [10] . Pour estimer cette perception qui est toujours subjective, j'utilise en chirurgie des questionnaires avec lesquels j'évalue, après l'opération sous hypnose, deux composantes de la douleur, la sensation et l'émotion ressenties par le patient. Nous décidons de transposer cette méthode issue de la clinique pour réaliser une nouvelle expérience. Une situation de stimulus douloureux standard est définie : appliquer sous la main des sujets une plaque électrique que l'on chauffe jusqu'à 48 ° pendant 15 secondes, avant de diminuer la température puis de recommencer. Nous observons par TEP la réponse cérébrale de onze sujets qui subissent ce stimulus dans trois situations : au repos, les yeux fermés, sans suggestion ; au repos puis sous hypnose avec dans les deux cas l'expérimentateur qui rappelle un souvenir de vacances agréables. Objectif : comparer l'activité cérébrale quand on détourne l'attention du sujet de sa perception douloureuse, qu'il soit ou non sous hypnose. Après l'expérience, nous demandons à chacun de noter de 0 à 10 ce qu'il a ressenti sur le plan sensation et émotion.
L'expérience confirme d'abord ce que l'on observe depuis longtemps en chirurgie : à stimulus égal, les onze sujets étudiés déclarent que leur sensation et leur inconfort diminuent lorsqu'on détourne leur attention, mais beaucoup plus sous hypnose 50 % au lieu de 20 %. Le deuxième résultat est plus intrigant. Lorsque le sujet perçoit le stimulus comme plus douloureux, on observe, mais seulement lorsqu'il est sous hypnose, une augmentation proportionnelle du débit sanguin dans la partie moyenne du cortex cingulaire antérieur, la région 24. Hypothèse : l'activité augmente dans cette région - qui régule les interactions entre cognition, perception et émotion - pour que l'individu puisse mieux gérer sa douleur.
Une expérience complémentaire montre que le débit sanguin augmente aussi en fonction de l'intensité de la douleur sous hypnose dans un réseau de régions corticales et sous-corticales qui sont liées à la région 24 : le cortex prégénual impliqué dans les processus cognitifs et émotionnels, le cortex préfrontal impliqué dans la cognition, la pré-SMAet le striatum impliqués dans les processus moteurs [11] . On sait par ailleurs que ces aires cérébrales traitent l'information nociceptive afin d'activer dans d'autres zones du cerveau la réponse comportementale et motrice de la douleur. Nous supposons donc que le processus hypnotique entraîne un traitement de l'information douloureuse par ce réseau qui aide l'individu à mieux gérer sa douleur. D'autres études vont montrer, à l'aide des potentiels évoqués cette fois que l'état d'hypnose intervient aussi au niveau périphérique en diminuant l'intensité du signal douloureux qui va du nerf à la moelle puis au cerveau, lorsqu'on pique la jambe de quelqu'un [12] .
Interaction avec les sédatifs
L'hypnose agit donc à la fois au niveau du système nerveux périphérique nerfs et central cerveau pour diminuer la perception de la douleur. Mais pourquoi cela fait-il diminuer le ressenti douloureux ? Est-ce comparable à l'activité générée par les sédatifs ? L'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle IRMF devrait permettre d'en savoir plus. Comme cette technique donne accès à des processus cérébraux plus brefs que la TEP, on pourra étudier la connectivité entre les aires cérébrales qui participent à la gestion de la douleur. Une première étude utilisant l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle IRMF avec un équipement à 1,5 tesla indique que les ganglions de la base sont également activés pour moduler la douleur sous hypnose. Elle conforte l'idée que le traitement en réseau pourrait servir à moduler l'information nociceptive. Notre équipe conduit actuellement une nouvelle expérience en IRMF avec une machine à 3 teslas. Nous créons le stimulus douloureux par laser car les plaques chauffantes sont inutilisables avec une telle intensité de champ magnétique. Nous voulons étudier cette fois les interactions entre hypnose et sédatifs. Nous continuerons d'utiliser par ailleurs la TEP pour étudier les neurotransmetteurs impliqués dans la modulation de la douleur sous hypnose.
Bref, la boîte de Pandore ne fait que s'ouvrir : les nouvelles techniques d'exploration cérébrale devraient renforcer le recours à l'hypnose non seulement comme méthode thérapeutique mais aussi en tant qu'outil de recherche pour préciser les mécanismes de la nociception et explorer les états modifiés de conscience.
EN DEUX MOTS Les sujets sous hypnose ou auto-hypnose, sont-ils dans un état neurologique particulier ou seulement en proie à la force de suggestion de leur thérapeute ? Cette question fait débat depuis les premiers travaux du médecin viennois Franz Mesmer au XVIIIe siècle. Les résultats obtenus en utilisant l'imagerie cérébrale tendent à accréditer la première thèse et à objectiver l'hypnose. Si l'on ne comprend toujours pas comment elle agit, on observe bel et bien des différences dans l'activité cérébrale indiquant un état modifié de conscience lorsque le sujet est hypnotisé. C'est probablement cet état modifié qui permet d'utiliser cette technique pour éviter les anesthésies médicamenteuses et soulager les douleurs chroniques.
Par Marie-Élisabeth Faymonville, Pierre Maquet, Steven Laureys
Entrepris il y a une dizaine d'années, les travaux de neuro-imagerie apportent déjà plusieurs résultats importants. Ils prouvent que l'hypnose modifie bien le fonctionnement cérébral. Et ouvrent de nouvelles pistes pour comprendre les mécanismes cérébraux de la douleur.
Comment objectiver l'hypnose ? Depuis le XVIIIe siècle, les scientifiques qui se penchent sur cette question se heurtent à un problème de taille : les sujets sous hypnose sont-ils ou non dans un état neurologique particulier, comme le prétend dès le XVIIIe siècle le médecin viennois Franz Mesmer, suivi, à la fin du XIXe siècle, par le neurologue français Charcot ? Ne sont-ils pas uniquement en proie à la force de leur imagination ? C'est ce que soutient, à l'époque de Charcot, le professeur de médecine Hyppolite Bernheim de l'université de Nancy. Certes, leur corps semble relâché et ils se soumettent à des suggestions... Mais sont-ils pour autant dans un état neurophysiologique spécifique ?
Pour trancher le débat, plusieurs psychologues et neurologues lancent au début du XXe siècle des travaux expérimentaux. À la fin des années 1950, ces recherches prennent un véritable essor grâce à la mise au point de la première échelle d'« hypnotisabilité » standardisée [1] . Elle est conçue par le psychiatre américain Ernest Hilgard et le psychologue canadien André Weitzenhoffer, qui travaillent tous deux dans le laboratoire de recherche sur l'hypnose de l'université Stanford.
À l'époque, il est très difficile d'étudier l'hypnose d'une manière scientifique sans passer pour un farfelu. Les diverses échelles qui existent pour mesurer si un individu est plus ou moins hypnotisable sont très hétérogènes. Or les scientifiques ont besoin d'un outil fiable : ils veulent comparer les réactions neurophysiologiques d'individus très et très peu hypnotisables pour trouver un marqueur biologique de l'hypnose. L'échelle de Hilgard répond à cette demande. Elle est fondée sur une mesure précise de la réponse individuelle à une liste de suggestions standardisées. Une partie des suggestions cherche à induire des réponses motrices, telles la fermeture des yeux, la rigidité des membres, la lévitation un bras qui se lève tout seul, une seconde partie tente de susciter des phénomènes mentaux, par exemple faire abstraction d'une odeur d'ammoniac alors qu'elle existe, entendre un moustique voler alors qu'il n'y en a aucun...
Échelles standardisées
Ernest Hilgard a aussi découvert par hasard la dissociation hypnotique en faisant l'expérience suivante : l'hypnotiseur suggère au sujet qu'il est sourd ; il semble le devenir et ne répond plus à aucune question ; pourtant, si l'hypnotiseur lui demande de bouger un membre, le sujet s'exécute. Lui-même étonné par ce résultat, Hilgard en conclut que la conscience semble dissociée en deux états différents.
Cette découverte et la standardisation des échelles déclenchent un nouveau courant de recherche. On va d'abord établir que dans la population générale 25 % des individus ont une très forte capacité à être hypnotisés, 50 % l'ont moyennement, et 25 % l'ont très peu. Puis on observe que les sujets sous hypnose ont des mouvements oculaires latéraux lents qui ne peuvent être mimés volontairement à l'état d'éveil. Et une hypothèse émerge dans les années 1970 : l'état hypnotique correspondrait à une activation préférentielle de l'hémisphère cérébral droit, siège du fonctionnement imaginatif. Selon cette hypothèse, l'activation serait d'autant plus importante que le sujet est très hypnotisable. C'est ce que plusieurs équipes vont s'évertuer à vérifier pendant une dizaine d'années. Ainsi, au laboratoire de Stanford, l'équipe de Hilgard tente d'identifier cette différence par électroencéphalographie EEG. Helen Crawford, à l'université de Virginie, se lance dans la même voie. En vain.
En 1985, Lee Baer de l'université de Pennsylvanie recourt pour la première fois à l'imagerie cérébrale pour étudier l'hypnose : il utilise la tomographie à émission de positons TEP * , avec du carbone 15 comme radiotraceur chez trois sujets sous hypnose chez lesquels il n'identifie aucune dissymétrie. Puis Helen Crawford fait la même expérience avec cette fois du xénon 133 sans rien identifier de spécifique non plus. Pas plus que l'EEG, les premières études utilisant l'imagerie n'ont donc trouvé d'activité cérébrale régionale spécifique à l'hypnose [2, 3, 4, 5] .
Parallèlement, on continue à rechercher une signature physiologique du phénomène. On mesure divers paramètres chez les sujets sous hypnose : pression artérielle, rythme cardiaque, fréquence respiratoire, diamètre pupillaire. Sans rien trouver de suffisamment déterminant de ce côté non plus.
Une activité cérébrale particulière
Certaines équipes, dont celle de H. Crawford, tentent alors d'utiliser une autre technique, la méthode des potentiels évoqués. Elle consiste à enregistrer par EEG la réponse cérébrale des sujets à un stimulus visuel un point lumineux sur un écran, ou sonore un bip, ou bien encore tactile un courant électrique dans un nerf. On essaie de comparer les résultats quand les sujets sont éveillés, sous hypnose, et selon leur degré d'hypnotisabilité. Cette fois encore, les différences observées sont trop légères et hétérogènes pour être significatives. Ceux qui nient l'existence d'un état spécifique à l'hypnose auraient-ils finalement raison ? Ou bien les mesures de l'activité cérébrale sont-elles encore trop imprécises pour identifier les subtiles modifications neurophysiologiques induites par le phénomène ?
En parallèle à toutes ces recherches infructueuses, je commence de mon côté, au début des années 1990, à utiliser l'hypnosédation * comme une autre voie que l'anesthésie générale dans le service où je travaille - grands brûlés et chirurgie plastique - au CHU de Liège. Anesthésiste de formation, j'ai découvert cette technique à la suite d'un séminaire. Je suis la première surprise par ses résultats : avec l'hypnose, j'améliore vraiment le confort des patients durant leur opération, tout en diminuant de façon considérable les doses de sédatifs qu'on leur donne en complément. Le phénomène semble bien relever d'un état neurophysiologique particulier. À mon tour, je pose la question : comment le prouver ?
On est en 1993. Les progrès de la TEP permettent de connaître de mieux en mieux le métabolisme cérébral régional. Cette technique nécessite la proximité d'un cyclotron pour produire les isotopes radioactifs qui servent de traceur. Or il en existe un à Liège. Le neurologue Pierre Maquet y travaille sur le sommeil. Forte de mon expérience d'anesthésiste pratiquant l'hypnose sur le « tout-venant » sans pathologie psychiatrique, je le convaincs de réaliser une étude par TEP sur le sujet. Le projet est lancé dans le cadre du Fonds national de recherche scientifique équivalent belge de l'Inserm. Nous voulons identifier l'existence d'un état cérébral hypnotique spécifique. Nous mettons au point un protocole qui repose sur une technique que j'utilise en chirurgie sous hypnosédation : faire revivre au patient un moment de vacances agréable. Nous sommes les premiers à utiliser l'eau marquée à l'oxygène 15, un radiotraceur de très courte durée d'action, ce qui permet d'augmenter le nombre d'expériences chez le même sujet, donc la puissance statistique des résultats. Nous faisons l'expérience sur neuf sujets.
Validation de l'état hypnotique
Dans un premier temps, nous demandons à chacun de se rappeler un souvenir de vacances de façon très intense en visualisant mentalement les scènes, les paroles, voire les odeurs qui lui sont liées. L'expérimentateur note tous les éléments. Ensuite nous comparons avec la TEP l'activité cérébrale des sujets dans trois situations : le sujet éveillé écoute les phrases de l'expérimentateur qui lui rappelle ses vacances remémoration autobiographique ; toujours éveillé, il écoute la bande-son des paroles de l'expérimentateur à l'envers pour éviter de penser à ses vacances ; enfin il écoute ces paroles sous hypnose. Ce protocole exige évidemment que nous validions l'état hypnotique correspondant à cette troisième situation. Comme il n'existe aucun moyen objectif de certifier cet état, nous nous appuyons sur un faisceau d'observations : présence de mouvements oculaires latéraux lents ; mouvement des pieds que nous demandons au sujet de faire ; enregistrement EEG prouvant que le sujet ne dort pas ; enfin enregistrement de la détente musculaire à l'aide de capteurs fixés au menton. Selon nous, la présence de ces quatre paramètres suffit à valider l'état hypnotique.
Modulation des perceptions
Cette expérience va enfin lever le voile sur l'existence de corrélats neuronaux spécifiques à l'hypnose. Lorsque le sujet éveillé se rappelle un souvenir, il active surtout les lobes temporaux droit et gauche. Ces mêmes régions ne s'activent pas lorsque le sujet éveillé ne pense à rien bande à l'envers, ni lorsqu'il est sous hypnose et qu'il revit ses vacances. En revanche, sous hypnose, il active un réseau qui comporte les régions de la vision occipitale, des sensations pariétale et de la motricité précentrale, comme s'il voyait, sentait et bougeait, alors qu'il est immobile. Ces données objectives concordent avec le rapport subjectif des participants : ils mentionnent invariablement l'impression de « revivre » sous hypnose des moments agréables, alors que pendant la remémoration d'événements agréables en conscience habituelle, ils se « souviennent » seulement de leur vécu. Deuxième différence majeure : le précuneus région du cortex pariétal et le cortex cingulaire postérieur sont désactivés en cours d'hypnose. Or ces régions sont très actives, lorsque le sujet est éveillé, même lorsqu'il ne pense à rien écoute de la bande-son à l'envers. Et on a déjà observé une désactivation de ces zones dans certaines phases du sommeil ou dans les états végétatifs, donc dans des états modifiés de conscience.
Cette expérience est la première à montrer un état cérébral particulier du sujet sous hypnose [6] . D'autres travaux portant sur les illusions perceptives vont conforter ce résultat. L'équipe de Henry Szechtman de l'université canadienne de Waterloo monte une expérience en 1998 avec huit sujets suffisamment mélomanes pour se rappeler précisément un morceau de musique [7] . Cette étude réalisée par TEP montre la même activation dans le cortex cingulaire antérieur aire 32 de la région de Brodman lorsqu'un sujet écoute un morceau de musique ou si on lui demande de se le rappeler sous hypnose. Or cette activation n'existe pas, lorsqu'on lui demande de se souvenir du morceau et qu'il est éveillé.
Plus troublant encore, en 2000, l'équipe de Stephen Kosslyn à Harvard montre que l'état hypnotique permet de moduler la perception des couleurs [8] . Dans cette étude, on demande au sujet éveillé de regarder un panneau constitué de carreaux colorés puis uniquement en gris. Si on lui donne le panneau coloré à voir, les deux régions du cerveau impliquées dans la perception des couleurs, situées au niveau du lobe occipital, s'activent ; si on lui demande d'imaginer que le panneau coloré est gris, elles restent actives. En revanche, quand on répète l'opération sous hypnose, les deux régions se désactivent quand on lui demande d'imaginer que le panneau coloré est gris. Sous hypnose, le sujet peut donc croire à des illusions auditives ou visuelles dont on trouve des traces cérébrales.
Avec ces travaux, nous avons donc acquis une première certitude : l'état hypnotique correspond bien à un état cérébral particulier. Mais comment cet état agit-il au niveau cérébral pour moduler la perception de la douleur ? Pour étudier cette question, nous devons partir des connaissances actuelles sur la neuro-anatomie de la nociception. La douleur est une expérience subjective sensorielle et émotionnelle désagréable liée à une lésion d'un tissu, potentielle ou réelle. Autrement dit, est douloureux ce que le patient ressent comme tel. L'information de la perception douloureuse est acheminée, via les fibres nerveuses, d'abord vers la moelle épinière et de là vers le thalamus puis vers différentes régions du cerveau, le cortex cingulaire antérieur, l'insula, le cortex somatosensoriel, les noyaux caudés et l'amygdale. Le thalamus intervient comme une station relais par laquelle l'information douloureuse transite vers ces autres zones corticales ou sous-corticales.
Traitement en réseau
La cartographie cérébrale indique un fonctionnement en réseau de ces zones vraisemblablement pour décoder les différentes composantes de la douleur : la première, sensorielle, encodée principalement au niveau de l'insula et du cortex somatosensoriel, permet au patient d'interpréter la sensation ça pique, ça tire, ça pince..., sa localisation et son intensité ; la deuxième, émotionnelle, encodée principalement au niveau du cortex cingulaire antérieur, signale l'inconfort la douleur nous agace, nous épuise, nous use... ; la troisième enfin, cognitivocomportementale, plutôt traitée dans les cortex préfrontal et prémoteur, sert à interpréter la douleur et à modifier notre comportement en conséquence. Force est de reconnaître que, ce traitement en réseau étant très subtil, on est encore loin de le connaître avec précision. En 1997, Pierre Rainville, de l'université McGill à Montréal, a d'ailleurs eu l'idée d'utiliser l'hypnose pour étudier la composante émotionnelle de la douleur [9] . Dans son expérience, il maintient un stimulus douloureux constant main gauche plongée dans l'eau à 47 ° et observe une augmentation significative de l'activité du cortex cingulaire antérieur si on suggère aux sujets sous hypnose que leur inconfort augmente. Il en conclut que le cortex cingulaire antérieur encode le ressenti émotionnel suscité par le stimulus douloureux. Cette recherche, qui s'est servie de l'hypnose comme un moyen d'étude, pointe le rôle spécifique du cortex cingulaire antérieur dans la modulation de l'émotion douloureuse.
Diminution de la douleur
De notre côté, avec Pierre Maquet et Steven Laureys, nous voulons comprendre l'effet cérébral de l'hypnose sur la perception de la douleur [10] . Pour estimer cette perception qui est toujours subjective, j'utilise en chirurgie des questionnaires avec lesquels j'évalue, après l'opération sous hypnose, deux composantes de la douleur, la sensation et l'émotion ressenties par le patient. Nous décidons de transposer cette méthode issue de la clinique pour réaliser une nouvelle expérience. Une situation de stimulus douloureux standard est définie : appliquer sous la main des sujets une plaque électrique que l'on chauffe jusqu'à 48 ° pendant 15 secondes, avant de diminuer la température puis de recommencer. Nous observons par TEP la réponse cérébrale de onze sujets qui subissent ce stimulus dans trois situations : au repos, les yeux fermés, sans suggestion ; au repos puis sous hypnose avec dans les deux cas l'expérimentateur qui rappelle un souvenir de vacances agréables. Objectif : comparer l'activité cérébrale quand on détourne l'attention du sujet de sa perception douloureuse, qu'il soit ou non sous hypnose. Après l'expérience, nous demandons à chacun de noter de 0 à 10 ce qu'il a ressenti sur le plan sensation et émotion.
L'expérience confirme d'abord ce que l'on observe depuis longtemps en chirurgie : à stimulus égal, les onze sujets étudiés déclarent que leur sensation et leur inconfort diminuent lorsqu'on détourne leur attention, mais beaucoup plus sous hypnose 50 % au lieu de 20 %. Le deuxième résultat est plus intrigant. Lorsque le sujet perçoit le stimulus comme plus douloureux, on observe, mais seulement lorsqu'il est sous hypnose, une augmentation proportionnelle du débit sanguin dans la partie moyenne du cortex cingulaire antérieur, la région 24. Hypothèse : l'activité augmente dans cette région - qui régule les interactions entre cognition, perception et émotion - pour que l'individu puisse mieux gérer sa douleur.
Une expérience complémentaire montre que le débit sanguin augmente aussi en fonction de l'intensité de la douleur sous hypnose dans un réseau de régions corticales et sous-corticales qui sont liées à la région 24 : le cortex prégénual impliqué dans les processus cognitifs et émotionnels, le cortex préfrontal impliqué dans la cognition, la pré-SMAet le striatum impliqués dans les processus moteurs [11] . On sait par ailleurs que ces aires cérébrales traitent l'information nociceptive afin d'activer dans d'autres zones du cerveau la réponse comportementale et motrice de la douleur. Nous supposons donc que le processus hypnotique entraîne un traitement de l'information douloureuse par ce réseau qui aide l'individu à mieux gérer sa douleur. D'autres études vont montrer, à l'aide des potentiels évoqués cette fois que l'état d'hypnose intervient aussi au niveau périphérique en diminuant l'intensité du signal douloureux qui va du nerf à la moelle puis au cerveau, lorsqu'on pique la jambe de quelqu'un [12] .
Interaction avec les sédatifs
L'hypnose agit donc à la fois au niveau du système nerveux périphérique nerfs et central cerveau pour diminuer la perception de la douleur. Mais pourquoi cela fait-il diminuer le ressenti douloureux ? Est-ce comparable à l'activité générée par les sédatifs ? L'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle IRMF devrait permettre d'en savoir plus. Comme cette technique donne accès à des processus cérébraux plus brefs que la TEP, on pourra étudier la connectivité entre les aires cérébrales qui participent à la gestion de la douleur. Une première étude utilisant l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle IRMF avec un équipement à 1,5 tesla indique que les ganglions de la base sont également activés pour moduler la douleur sous hypnose. Elle conforte l'idée que le traitement en réseau pourrait servir à moduler l'information nociceptive. Notre équipe conduit actuellement une nouvelle expérience en IRMF avec une machine à 3 teslas. Nous créons le stimulus douloureux par laser car les plaques chauffantes sont inutilisables avec une telle intensité de champ magnétique. Nous voulons étudier cette fois les interactions entre hypnose et sédatifs. Nous continuerons d'utiliser par ailleurs la TEP pour étudier les neurotransmetteurs impliqués dans la modulation de la douleur sous hypnose.
Bref, la boîte de Pandore ne fait que s'ouvrir : les nouvelles techniques d'exploration cérébrale devraient renforcer le recours à l'hypnose non seulement comme méthode thérapeutique mais aussi en tant qu'outil de recherche pour préciser les mécanismes de la nociception et explorer les états modifiés de conscience.
EN DEUX MOTS Les sujets sous hypnose ou auto-hypnose, sont-ils dans un état neurologique particulier ou seulement en proie à la force de suggestion de leur thérapeute ? Cette question fait débat depuis les premiers travaux du médecin viennois Franz Mesmer au XVIIIe siècle. Les résultats obtenus en utilisant l'imagerie cérébrale tendent à accréditer la première thèse et à objectiver l'hypnose. Si l'on ne comprend toujours pas comment elle agit, on observe bel et bien des différences dans l'activité cérébrale indiquant un état modifié de conscience lorsque le sujet est hypnotisé. C'est probablement cet état modifié qui permet d'utiliser cette technique pour éviter les anesthésies médicamenteuses et soulager les douleurs chroniques.
Par Marie-Élisabeth Faymonville, Pierre Maquet, Steven Laureys